« Maude raconte. Les SMS vulgaires, monstrueux, un harcèlement continu pendant des semaines, et puis les photos qui ont circulé partout, jusqu’à chez ses parents. Sans raison. Garance n’était pas méprisante, arrogante, insolente. Une jeune fille comme les autres. C’est tout. Maude a vu son amie dépérir un peu plus chaque jour. Maintenant elle s’en veut, elle aurait dû parler, prévenir quelqu’un, elle aurait dû…elle aurait dû… ». 

Le collège, l’adolescence. Un passage obligé qui tourne parfois au cauchemar. Dans le roman Snap Killer [1], une jeune fille de 16 ans du nom de Garance subit un harcèlement constant sur les réseaux sociaux par un inconnu qui lui envoie des messages de menace, des insultes, des montages pornographiques qui finissent par circuler dans son école. D’abord indifférente, Garance dépérit progressivement, jusqu’à commettre l’acte ultime… interrogations de sa meilleure amie, de sa famille, de son petit ami qui tente de retrouver le coupable pour la venger. La police tente de comprendre, interroge les parents, leur culpabilité : « Si, bien sûr, elle était moins joyeuse, elle ne parlait plus trop… mais avec les ados, comment savoir ? Ça pouvait être une dispute avec une copine, une peine de cœur…Nous ne sommes pas des parents intrusifs. Je sais, nous aurions dû être plus à l’écoute, nous préoccuper de ces changements. Mais elle ne disait plus rien ». 

Ce livre, formé comme une enquête policière, laisse planer le doute sur les véritables responsables. Qui était présent, lorsque Garance avait le plus besoin d’aide ? L’école a-t-elle remarqué le mal-être profond de son élève ? « Quoi ? Co…comment est-ce arrivé ? Un suicide ? Mais pourquoi ici ? Encore un ! ». Le directeur avoue lui-même ne pas connaître les 980 élèves qui font partie de son établissement, et met un point d’honneur à rendre son bureau le plus confortable possible et à s’occuper de pièces de collections historiques d’une grande valeur…

L’histoire gravite autour de plusieurs personnages qui chacun, tente de trouver des réponses, se sortir de la douleur. Les parents, démunis, dont la vie va « voler en éclats », un amoureux qui réalise qu’il n’y a eu « personne pour elle, nulle part », une policière, qui comprend qu’« un harceleur veut toujours constater les effets de sa persécution. Il se délecte de voir sa cible perdre pied ». 

Malgré la brutalité de l’intrigue qui se centre sur la mort chez les adolescents, des solutions face au harcèlement sont aussi indiquées. L’une des jeunes filles appartient à un groupe du nom de Sentinelle, un dispositif existant réellement (https://pdvs.discriminations-sedap.fr/services/sentinelles-et-referents-c), afin de former des jeunes et des adultes contre cette problématique : « En gros, il s’agit de veiller sur les autres, en classe, à la récré, à la cantine, en sortie scolaire. Repérer les plus vulnérables, ceux qui servent de bouc émissaire ou de souffre-douleur, ou ceux qui se font racketter. Pour le harcèlement, on doit faire attention aux changements de comportement, remarquer quelqu’un qui ne mange plus, ne rigole plus, s’extrait d’un groupe. Pourquoi on se sent coupable quand on est une victime ? ». 

A noter qu’il s’agit d’un roman français (ce dispositif précis n’existant donc pas en Suisse), mais que l’autrice ne se contente pas seulement de raconter une intrigue. Elle propose d’autres sites de préventions et ses personnages sont investis de la mission qui est de comprendre et de tenter d’agir contre le harcèlement. 

En Suisse, il existe cependant un groupe combattant le suicide chez les jeunes (https://stopsuicide.ch/), preuve que certains moyens peuvent être mis en place, souvent par des bénévoles… 

A mettre en parallèle est un autre roman, Wonder [2], qui suit August, enfant de 10 ans malformé à la naissance et qui décide courageusement d’entrer au collège, ayant toujours été scolarisé à la maison. Il va rapidement déchanter, se rendant compte de la cruauté dont certains enfants peuvent faire preuve : « C’était un vendredi, du coup, j’ai eu tout le week-end pour réfléchir à ce qui s’était passé. J’étais sûr que je ne retournerais jamais à l’école ». Ce lieu qui devrait être dédié à apprendre, découvrir, s’habituer aux autres, peut donc devenir une charge mentale permanente, une crainte d’être confronté aux autres, une peur des regards, des remarques. Se demander ce qui va bien pouvoir arriver cette fois. 

Le texte prend des accents émouvants, centrés sur le point de vue des personnages qui questionnent leur rapport aux autres de façon constante. Il y a la grande sœur d’August, Olivia, qui fait sa rentrée au lycée. Proche de deux amies depuis l’enfance, elle prend conscience qu’elle n’a plus les mêmes valeurs qu’elles, ce qui lui vaut d’être progressivement exclue elle aussi. « Pendant une semaine, j’ai tout de même évité la cantine afin que la transition se fasse plus aisément et pour éviter les exclamations hypocrites du style : « Oh ! désolée Olivia, il n’y a plus de place à cette table ! » C’était plus facile d’aller lire à la bibliothèque ».

Et puis, les élèves comme Summer ou Jack qui apprécient sincèrement August et qui ne comprennent pas cette hostilité à son égard : « Je suis allée m’asseoir avec lui. Rien d’extraordinaire. J’aimerai que les autres arrêtent d’en faire tout un plat. C’est un élève, voilà tout ». Sauf qu’ils vont pratiquement devoir justifier cette amitié, au risque de quoi ils vont eux-mêmes être rejetés : « En tout cas, ils m’avaient laissé tomber. Je me sentais super mal de me retrouver seul à ma table. J’avais l’impression que tout le monde m’observait. Comme si je n’avais pas d’amis ». 

Le rapport entre ces deux livres ? Les deux personnages se sentent pestiférés et c’est d’ailleurs un terme qui revient souvent. On les évite, on parle dans leur dos, on rigole du moindre de leurs gestes. Ils sont exclus, méprisés. Parfois sous une forme violente, mais aussi de façon plus pernicieuse. 

Dans Wonder : « Par exemple, Zack et Alex m’invitaient à leurs fêtes d’anniversaire quand nous étions petits. Joel, Eamonn et Gabe, jamais. Emma m’a invité une fois, mais je ne l’ai pas revue depuis longtemps. Mais peut-être que j’exagère et que les anniversaires, ça compte pas tellement », et dans Snap Killer : « Ils me regardent tous bizarrement au lycée. Je suis devenue « la salope » parce qu’il raconte que je couche avec tous les mecs du bahut. Je suis celle qu’on ne côtoie plus, celle qu’on évite comme si j’avais la peste ».

C’est ce sentiment d’exclusion qui amène la même lourdeur dans les livres. On se met à la place de Garance et August, cette même injustice qui font qu’ils n’appartiennent plus à aucun groupe alors qu’ils n’ont rien fait. 

Même si ces deux histoires sont complétement différentes, tant dans le déroulement que dans la personnalité des personnages, la problématique du harcèlement et le questionnement de la différence sont deux sujets centraux. Ils permettent de se remettre soi-même en question, de réfléchir à la meilleure manière de se comporter, d’interroger notre rapport aux autres, aux groupes… des lectures touchantes et pleines de mots justes, allant droit au cœur. 


[1] Allouche Sylvie, Snap killer, Paris, Editions SYROS, 2019. 

[2] Palacio R. J., Wonder, Paris, Editions Pocket Jeunesse, 2013.