A 14 ans, un jeune que nous appellerons Theo afin de préserver son anonymat, a quitté son école genevoise suite à de nombreux problèmes au sein de l’école ainsi qu’à la maison. En effet, Theo se faisait harceler pendant plus d’un an par des élèves plus âgés. Ensuite, il a commencé à déverser sa colère sur d’autres élèves, devenant à son tour le harceleur. Angie, rédactrice au sein de l’association VIA, est allée à sa rencontre afin de mieux comprendre son vécu dans cette situation de harcèlement.

            Est-ce que tu peux rapidement m’expliquer ton parcours scolaire?

            Jusqu’à la 11ème harmos, j’ai étudié à Genève. Cela fait maintenant 8 mois que je suis à Crans-Montana.

            Pourquoi es-tu parti de Genève pour te rendre à l’école à Crans-Montana?

            La première raison est ma situation familiale. J’habitais avec ma mère et ça ne se passait pas bien du tout. La deuxième raison est que je ne me voyais pas avoir un avenir si je restais à l’école à Genève. Si j’étais resté, j’aurais mal tourné.

            Est-ce que tu peux élaborer un peu plus sur pourquoi tu penses que tu aurais mal tourné si tu étais resté dans ton école?

            Je pense que j’aurais mal tourné à cause de ma situation familiale mais aussi à cause de ma relation avec les autres élèves. Je n’avais pas de cadre ni à la maison, ni à l’école. Je sentais qu’il n’y avait personne pour m’aider.

Ce jeune garçon vivait depuis plusieurs années avec sa mère et sa sœur après le divorce de ses parents. Toutefois, sa sœur a déménagé chez son père après avoir été physiquement battue par sa mère. Il est donc resté seul avec sa mère car la justice soutenait « qu’il était en sécurité vu qu’elle ne l’avait pas frappé lui, seulement sa sœur ». Quand sa sœur est partie, sa relation avec sa mère s’est empirée de jour en jour. En plus de ceci, il avait des soucis à l’école.

            As-tu été victime d’harcèlement à l’école?

            Oui, toute ma scolarité. Les autres élèves répandaient des rumeurs sur moi.

            Est-ce que tu peux nous dire quelles étaient les rumeurs répandues à ton insu ?

            Il y avait beaucoup de rumeurs mais la plus importante était la rumeur qui prétendait que j’avais agressé plusieurs filles.

            Tu te souviens quand ces rumeurs ont commencé et pourquoi ?

            Quand j’ai commencé le cycle. J’avais 12 ans. Je ne sais pas pourquoi, j’ai été pris comme cible par des élèves plus âgés et une fois qu’ils t’ont choisi comme cible il n’y a rien à faire.

            Combien de temps est-ce que cela a duré ?

            Ça a duré un peu plus d’un an, jusqu’à ce que je quitte l’école.

            Le harcèlement était donc strictement sous forme de rumeurs ?

            Ça arrivait aussi que ces élèves m’insultent. Parfois, ils me poussaient dans les escaliers. Je me souviens d’un jour où ils étaient une quinzaine à me jeter des objets dessus.  J’ai également vu un des garçons en ville, en dehors de l’école. Ce jour-là, il m’a attaqué par derrière et m’a volé ce que j’avais sur moi.

            Et comment cela t’a affecté?

            Je le prenais à la rigolade. Je ne réalisais pas vraiment ce qui m’arrivait.

Theo avait de la peine à admettre comment le harcèlement l’avait affecté. Toutefois, après avoir posé la question à plusieurs autres reprises, il admet :  « J’étais triste et énervé que cela m’arrive à moi ».

            Est-ce que c’était toujours les mêmes personnes qui te harcelaient ? Est-ce qu’ils harcelaient d’autres élèves ?

            Oui ils harcelaient d’autres élèves et c’était toujours le même groupe de personnes.

Est-ce que tu penses que si tu avais le soutien de tes professeurs, cela aurait pu aider ta situation ?

            Non. Ils ne peuvent rien faire contre des rumeurs. Ça peut aussi empirer les choses d’en parler aux adultes. On se fait traiter de « rapporteur » et donc les élèves vont encore plus nous harceler.

La plupart des élèves victimes d’harcèlement n’arrivent pas à en parler aux professeurs de leur école. Ils ont peur des répercussions. De plus, les professeurs ne sont pas toujours formés pour gérer ces situations et ne sont donc pas en mesure d’aider les victimes.

            Est-ce que le harcèlement que tu as subi affecte tes relations avec les élèves dans ta nouvelle école ?

            J’ai plus de peine à faire confiance aux gens.

            Est-ce que tu as déjà été, à l’inverse, harceleur ?

            Non.

Ce jeune garçon a eu des problèmes avec le doyen après avoir poussé et frappé trois élèves.

            Alors comment est-ce que tu définis ce qu’il s’est passé avec les trois élèves que tu as frappés ?

J’étais énervé ces jours-là… Ils ont fait des choses qui m’ont énervé et donc je les ai frappé ou poussé. C’est arrivé une seule fois donc je ne sais pas si je considère ça comme du harcèlement. Je sais maintenant que ce n’était pas justifié.

            À cause de mes problèmes à la maison et à l’école, je fumais et buvais beaucoup alors j’étais souvent énervé à cette époque et je ne savais pas gérer ma colère. Quand on est énervé, on ne réalise pas sur le moment ce qu’on fait.

            Est-ce que tu penses avoir frappé ces élèves parce que tu n’avais personne pour te montrer comment gérer tes émotions ?

            Oui, c’est le seul moyen que je connaissais pour évacuer ma colère. C’est difficile sans cadre à la maison mais j’aurais pu apprendre tout seul. J’essayais mais je n’arrivais pas à contrôler ma colère. Je remarque une grande différence depuis que je ne fume plus et je ne bois plus mais aussi depuis que j’ai quitté la maison de ma mère.

            Est-ce que tu penses que les élèves qui t’ont harcelé sont dans la même situation ? Qu’ils n’ont personne pour leur montrer comment gérer leurs émotions ? Est-ce que tu arrives à avoir de l’empathie pour eux ?

            Non, je n’ai pas d’empathie pour eux. Je pense qu’ils peuvent le faire à cause d’une douleur qu’ils ressentent ou parce qu’ils n’ont que ça comme modèle à la maison. Je ne pense pas qu’ils veulent uniquement faire du mal, c’est parce qu’ils ne connaissent rien d’autre mais ce n’est pas une excuse.

Il est en effet souvent difficile d’avoir de l’empathie pour les enfants qui harcèlent d’autres enfants, tout particulièrement si ce sont nos enfants qui sont ciblés. Il est bien plus simple de s’arrêter à la pensée que ces enfants sont fondamentalement mauvais et méritent d’être punis. Il serait plus productif toutefois d’essayer de comprendre les motivations derrière un tel comportement et de chercher à les aider. En général, ils ne souhaitent pas être dans la situation du harceleur.