« J’étais dans ma chambre, protégée par les murs de la belle maison de mes parents, à l’abri du manque et du froid, entourée de l’amour des miens et, dehors, dans l’univers virtuel des réseaux sociaux, des gens que je ne connaissais ni d’Ève ni d’Adam s’excitaient sur moi, m’insultaient, m’inventaient une personnalité sans rien savoir de ma personne, à partir d’une photo sortie de son contexte et d’une accusation maudite née de l’imagination d’un pauvre type qui aurait tout fait pour se disculper d’avoir voulu abuser de moi ! » – Extrait de Rumeurs, tu meurs ! (Frank Andriat, éditions Mijade, 2020)

Résumé du livre

Après un événement malencontreux, Alice voit sa vie d’adolescente basculer lorsqu’elle devient la cible de Lena, qu’elle croyait pourtant être sa meilleure amie. Elle subit alors de plein fouet les violences du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement. Moqueries, mensonges, insultes, isolement et violences physiques, rien ne lui sera épargné. À travers son regard, le lecteur découvre sa souffrance et sa solitude, mais aussi son combat et ses remises en question sur sa vie d’avant. Un roman pour adolescents, qui permet d’aborder de l’intérieur la problématique du harcèlement scolaire et des réseaux sociaux.

Avec Rumeurs, tu meurs ! – écrit à la demande des élèves et publié en 2020 aux éditions Mijade – Frank Andriat nous livre un récit poignant, où la rumeur enfle comme une tumeur et où les mots peuvent tuer… mais aussi sauver. Parce que pour lui, écrire est une manière de témoigner et de rendre hommage à la vie, à l’amour et aux autres[1], c’est un message d’espoir que cet auteur prolifique et enseignant retraité nous offre à travers cette interview.

Enseignant, auteur, philosophe philanthrope et altruiste, vos casquettes sont nombreuses. Mais vous, comment vous présenteriez-vous ?

Votre générosité m’honore. Je me présenterais simplement comme un être humain qui vit son humanité et ses fragilités le mieux possible. En lien avec le monde, ses ombres et ses lumières. Un passeur de tendresse, un ouvre-cœur. Les mots et les sourires sont mes outils pour partager avec les autres mes émerveillements et mes faiblesses. Quelqu’un qui cherche à être plutôt qu’à faire et pour qui les casquettes n’ont pas d’importance, sauf quand il pleut parce que je n’ai plus beaucoup de cheveux !

Élèves, co-auteurs, lecteurs, public de prédilection et source d’inspiration : vous accordez une place toute particulière aux adolescents. Pourquoi ?

Les adolescents ont marqué ma vie d’enseignant. Les trente-six années passées à leurs côtés ont nourri mon travail d’écrivain, m’ont apporté des sources d’inspiration. Leurs révoltes, leurs blessures, leurs enthousiasmes m’ont donné envie de m’engager, d’écrire pour eux et, comme vous le notez, parfois avec eux autour de thèmes majeurs : la démocratie, les droits de l’homme, la lutte contre toute forme d’extrémisme… Les adolescents ont moins de filtres que les adultes et ça les rend précieux. Avec eux, on ne s’enlise pas dans des idées reçues, ils nous obligent à nous remettre sans cesse en question.

En 2020, vous avez publié Rumeurs, tu meurs ! sur la thématique du harcèlement scolaire et du cyberharcèlement. Vous dédicacez cette histoire « Aux ados qui m’ont demandé d’écrire ce roman ». Pouvez-vous nous raconter comment est née l’envie de vous lancer dans ce projet ?

Ce projet est né grâce aux rencontres que je fais dans les classes. Depuis 2016, les adolescents que je rencontrais me demandaient sans cesse si j’avais écrit un roman sur le harcèlement. J’ai ressenti combien ce thème était important pour eux et j’ai eu envie de me lancer dans une histoire qui peint la cruauté du réel tout en offrant une porte de sortie à Alice, mon personnage central. Depuis sa parution, ce roman m’a permis d’émouvantes rencontres. Il a aussi offert à de nombreux adolescents d’oser parler du harcèlement qu’ils subissaient, de se libérer, d’enfin briser les murs de silence où ils s’isolaient.

Rumeurs, tu meurs ! c’est l’histoire d’Alice, une adolescente qui voit sa vie basculer dans l’enfer du harcèlement. Le lecteur découvre son expérience à travers ses yeux. Pourquoi avoir choisi ce point de vue ?

J’ai choisi d’écrire l’histoire à travers les yeux d’Alice pour que le lecteur soit touché par un témoignage direct. C’est elle qu’on agresse, c’est elle qui souffre, c’est elle qui perd son « Je ». Dans mon roman, en se racontant, elle se retrouve petit à petit : elle ne subit plus son histoire, elle la raconte, elle s’en détache et c’est quand elle ne sera plus prisonnière d’elle-même qu’elle pourra aller vers l’autre et respirer, se reconstruire. Le « Je » d’Alice rejoint celui du lecteur. Un lien se crée. C’est important. J’avais envie que mes lecteurs entrent en empathie avec elle.

Pour décrire ce qu’elle ressent, votre héroïne utilise tout un répertoire autour de la destruction, avec des termes comme « flinguer », « pulvériser », « poison », « transpercer », « mise à mort », « condamner » « abattre », « secousse sismique », etc. Plus loin, elle comparera le cyberharcèlement et les rumeurs à une tumeur et ses métastases. Avec des parallèles aussi violents, ne craignez-vous pas qu’on trouve votre propos alarmiste ?

J’utilise des mots forts, des parallèles violents parce que la situation l’est. Je suis tout simplement (et malheureusement) réaliste. Le réel des ados harcelés peut les mener au suicide. Les adultes qui lisent mon roman m’ont fait la même remarque que vous. Lorsque j’ai écrit le livre, j’ai moi-même hésité à utiliser certains termes que je trouvais trop forts. En revanche, les ados lecteurs trouvent mon livre « cool » et me disent souvent avoir vécu bien pire. La situation des jeunes qui se font harceler est terrible. Elle prend aussi de l’ampleur. Leur utilisation des réseaux sociaux et de leur smartphone les mine et ils ne trouvent plus, pour beaucoup, le moyen de se libérer de leurs comportements compulsifs : il ne faut donc pas hésiter à tirer la sonnette d’alarme. C’est notre rôle d’adulte de les protéger.

Le silence tient une place importante dans le récit : silence d’Alice qui refuse de parler de sa situation, silence des témoins face aux agressions dont sont victimes leurs pairs, silence de son ami Pierre-Yves « parti » sans explication. Quel est le rôle du silence dans une situation de harcèlement et comment y faire face ?

D’un côté, il y a le merveilleux silence de la méditation qui nous conduit à nous relier à la vie, à nous-mêmes et aux autres. De l’autre, il y a le mutisme, le silence qui enferme et où l’on se blottit parce que la souffrance crispe et coupe de la parole libératrice et d’autrui. Alice a honte, Alice a peur, Alice se tait, elle craint l’opinion des autres et ne vit plus qu’en fonction de celle-ci. Au fil de l’histoire, je montre que, pour sortir de ce mutisme, il faut qu’au-delà de ses blessures, elle retrouve des éclairs de confiance. J’ai mis sur son chemin des porteurs de lumière, des personnes bienveillantes qui écoutent et qui lui permettent de se reconstruire. Quand le silence devient une bulle où l’on se noie, pour y faire face, il faut parler.

Bien qu’elle soit victime, Alice est rongée par le remords, la honte et la culpabilité. Elle tarde à se confier et veut résoudre son problème seule. Résultat : la situation s’empire. Pourquoi avoir insisté sur cet aspect ?

Le harcèlement dont Alice est la victime détruit sa confiance en elle et, lorsqu’on perd confiance en soi, on a souvent tendance à se renfermer. Alice voit les autres comme un danger. Ses harceleurs deviennent son obsession, sa maladie ; elle ne voit plus celles et ceux qui pourraient lui venir en aide. J’ai insisté sur cet aspect parce que, malheureusement, c’est souvent ce que vivent des ados harcelés, surtout quand, comme c’est le cas pour Alice, ils ont été piégés et que des photos d’eux circulent sur les réseaux. Impossible pour eux d’en parler aux adultes (du moins dans un premier temps), en particulier à leurs parents, à leurs professeurs. Remords, honte et culpabilité font le jeu des agresseurs et renforcent leur emprise. J’ai insisté sur cet aspect pour montrer combien il est important de chercher de l’aide auprès de personnes bienveillantes.

Les parents d’Alice sont présents tout au long du récit et tentent à plusieurs reprises de comprendre ce qui ne va pas, mais sans succès puisqu’elle les tient à distance. Quels conseils donneriez-vous aux parents qui se retrouvent dans cette situation ?

Il n’est pas simple de vous répondre, car chaque situation est différente. Dans tous les cas, les parents doivent le mieux possible, et ce n’est pas facile, créer une atmosphère de confiance, d’ouverture. On ne force pas les aveux d’un adolescent, on les amène par l’écoute, par la délicatesse. Dire « Nous ressentons que quelque chose ne va pas. Nous sommes là si tu en as besoin, nous sommes là si tu en as envie. Tu sais que nous t’aimons. » Ouvrir à l’adolescent que l’on sent en souffrance une porte de lumière. Être simplement là, présent, bienveillant, pas inquisiteur, pour qu’il sache qu’on est le roc sur qui il peut se reposer. Et, si, en tant qu’adulte, on se sent perdu, faire appel à des gens de métier qui ont appris comment ouvrir à la confiance.

Quel message avez-vous voulu faire passer à travers ce roman ?

J’ai tenté de décrire la spirale infernale où peuvent se laisser entraîner les victimes du harcèlement et de montrer comment se libérer de l’enfer. Les candidats harceleurs ou les harceleurs qui lisent ce roman sont également invités à prendre conscience de leurs actes. Vouloir détruire l’autre n’est pas un jeu. J’ai mis leurs paroles, leurs manières d’agir en évidence. Ce roman peut ouvrir des consciences, accompagner celles et ceux qui souffrent et ouvrir le cœur de celles et de ceux qui font souffrir. Un message revient : ne transformons pas la vie de l’autre en enfer, apprenons à nous apprécier sans nous juger sans cesse, ouvrons les bras à plus d’humanité.

Quels sont, selon vous, les moyens à mettre en place pour lutter contre le harcèlement scolaire ?

Avant les réseaux sociaux, on était harcelé à l’école et, à la maison, on pouvait respirer. Aujourd’hui, le harcèlement scolaire peut se vivre vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Nous sommes confrontés à un terrible défi ! Avec des intentions souvent bassement commerciales, on a mis dans les mains des jeunes des outils de destruction qui, cependant, pourraient servir de nobles causes, construire une société meilleure, plus juste. Il faut donc prévenir, parler avec les ados, leur enseigner à utiliser leur smartphone tout en respectant l’autre. Il faut, de manière urgente, prévenir les ados des dangers d’une technologie sans conscience, il faut leur enseigner l’humanité, l’importance de partager leurs différences. Il faut leur enseigner, à la maison comme à l’école, que leurs relations à l’autre ne se résument pas à un écran, les éduquer au réel plutôt qu’au virtuel. Notre société a beaucoup investi dans la communication, dans l’efficacité : il faut redonner du sens, ajouter de l’âme, de l’empathie. Offrir un marteau à un jeune sans lui apprendre que celui-ci peut servir à tuer est criminel. C’est ce que notre société fait souvent dans une course folle à la performance et au chacun pour soi.

Nous tenons à remercier chaleureusement Frank Andriat d’avoir accepté de revenir sur son récit et d’avoir répondu généreusement à nos questions. Retrouvez ses livres chez votre libraire et rendez-vous sur sa page personnelle pour découvrir son importante bibliographie.

L’auteur

Frank Andriat est un auteur belge prolifique. Il griffonne ses premiers poèmes à l’aube de son adolescence et ne cesse d’écrire depuis lors. Il partage sa vie entre l’enseignement et l’écriture de romans et d’essais destinés à un public adulte et adolescent. Professeur aujourd’hui à la retraite, il connaît de l’intérieur les adolescents à qui il dédie la plupart de ses romans jeunesse. Ses sujets de prédilection tournent autour de l’école et de son univers qui peut parfois être impitoyable. Il n’hésite pas à traiter de thématiques encore taboues, comme l’homosexualité et le suicide (Tabou, Mijade, 2003), l’immigration (Journal de Jamila, Mijade, 2008 ; Un sale livre, Mijade, 2016), les dangers d’Internet et des réseaux sociaux (Je voudr@is que tu…, Grasset, 2011 ; Rumeurs, tu meurs !, Mijade, 2020) ou encore le deuil (Une île lointaine, Ker, 2023). Bien qu’il s’agisse de fictions, ses récits pour jeunes ont toujours pour point de départ une question posée ou une émotion vécue par ses élèves.

 


[1] https://www.andriat.fr/portrait/