Via vous propose de reprendre la couverture médiatique des derniers faits liés au harcèlement scolaire et d’en faire l’analyse critique. Il s’agit malheureusement de sujets qui viennent sur le devant de la scène lorsque des drames ont lieu. En France, le suicide du jeune Lucas, 13 ans ; en Suisse, la situation intolérable vécue par Léon (prénom d’emprunt). A l’aune de ces situations relatées, nous questionnerons les moyens mis en place par les écoles dans ces pays pour lutter contre le harcèlement scolaire.

Commençons par la situation française avec ce collégien de 13 ans victime de harcèlement et d’homophobie, qui a mis fin à ses jours le 7 janvier dernier. L’incapacité des écoles à empêcher cette mort tragique a fait coulé beaucoup d’encre, et ouvert des débats sur “l’impuissance collective” face à ce type de phénomène, comme lors de ce débat proposé par l’émission Sens public :

Comme l’explique le Huffington Post, l’école de Lucas avait mis pourtant en place toute une série de mesures de lutte contre le harcèlement scolaire, et les faits de harcèlement avaient été remontés : “le rectorat, l’adolescent et sa mère « avaient fait état de moqueries à la rentrée de septembre » et les faits avaient été « immédiatement pris au sérieux par les équipes du collège ». L’établissement était par ailleurs « engagé dans le dispositif pHARe de lutte contre le harcèlement ». Ce programme contient « huit piliers », comme par exemple « mesurer le climat scolaire », « prévenir les phénomènes de harcèlement » ou « former une communauté protectrice de professionnels et de personnels pour les élèves ». Cinq personnes-ressources par établissement doivent être formées à prendre en charge les situations de harcèlement et être identifiées comme telles.”

Il s’agit donc de se questionner sur la pertinence de ce type de programme mis en place. Le Huffington Post explique que “le plan pHARe s’articule, pour la résolution des situations de harcèlement, autour d’une méthodologie, intitulée « préoccupation partagée » (MPP) ou Pikas – du nom de son créateur, Anatol Pikas, un psychologue suédois. Pour Olivier Raluy, c’est « une méthode parmi d’autres ». »

Revenons dès lors sur cette méthode de la préoccupation partagée (MPP). Il s’agit d’une méthode créée dans les années 1970 en Suède par le psychologue suédois Anatol Pikas. Elle a été adaptée au contexte français par Jean-Pierre Bellon, Bertrand Gardette et Marie Quartier. Elle est développée depuis plusieurs années dans un grand nombre d’établissements français, genevois et vaudois. 

Cette méthode, continue le Huffington Post, « vise à ne pas blâmer et se caractérise par une grande ‘préoccupation’ à l’égard de l’élève cible, que l’on veut partager avec les élèves intimidateurs, explique Olivier Raluy. Donc l’idée, c’est de ne pas oublier les harceleurs dans le traitement du sujet et que tout le monde soit acteur de la résolution de la situation. » 

Cette méthode base toute son intervention sur le postulat que le ou les enfants qui harcèlent vont, à la suite de la rencontre avec les adultes intervenant·e·s, changer de posture petit à petit en sortant de leur rôle de meneurs organisant la mise au pilori de la victime, pour se préoccuper des dégâts occasionnés par… leurs propres comportements de harceleurs. 

Cette méthode ne s’applique cependant pas à tous les scénarios :

C’est très efficace quand le ou les harceleurs n’ont pas d’intentionnalité de nuire, quand le harcèlement n’est pas installé depuis longtemps et quand il n’y a pas eu de violences paroxystiques – des violences qui relèvent de faits graves juridiquement », énumère Johanna Dagorn. Ce qui ne recouvre pas tous les cas de figure. « Dans le cas du revenge porn, par exemple, où l’intentionnalité est de nuire, ça ne marche pas et c’est même fortement déconseillé, parce que si vous expliquez à l’auteur à quel point sa victime souffre, comme c’était le but, ça va lui ‘faire plaisir’ », développe-t-elle.

Huffington Post

Dans ces cas très graves, il semble opportun de disposer d’autres outils. A cet égard, nous rejoignons les propos de la Défenseure des droits, Claire Hédon, qui, dans l’émission Sens public ci-dessus (26 min. 40) s’inquiète en France du “retard de prise en charge et de prise en compte de la parole de l’enfant. Quand l’enfant est victime de harcèlement scolaire à l’école, c’est lui que l’on change d’école, et pas les harceleurs. Il faudrait une écoute et une prise en charge plus rapide.” 

La psychologue Catherine Verdier explique, quant à elle, dans un article de Lyon Capitale, que la loi du 2 mars 2022 en France offre un cadre nécessaire au harcèlement scolaire. Même si elle est difficile d’application, la psychologue se réjouit que la loi offre, non seulement une sanction punitive, mais aussi une sanction réparatrice avec des “stages de sensibilisation aux risques liés au harcèlement scolaire”. 

Selon Laure Boutron-Marmion, avocate spécialisée en droit pénal des mineurs et membre de l’Antenne des mineurs du barreau de Paris, il s’agit d’aller plus loin que de simples incitations faites aux établissements, notamment en “donnant par exemple pouvoir au directeur de l’école de réfléchir à une réponse plus immédiate à l’encontre de l’élève harceleur comme son expulsion temporaire, après commission de discipline“. 

Dans un article au Point, elle explique que des pays comme le Québec ou le Royaume-Uni l’ont déjà fait, et ont significativement pu faire diminuer les faits de harcèlement scolaire, car cette réponse a le mérite de l’immédiateté, dissuadant ainsi d’autres potentiels agresseurs. 

La question de l’expulsion temporaire des agresseurs peut certes poser des questions éthiques, mais par contre, on ne peut qu’être d’accord avec l’avocate lorsqu’elle explique que “c’est quand même extrêmement choquant de savoir que l’enfant subissant le harcèlement est celui qui part de l’établissement scolaire.” Elle interroge : “Quel message donne-t-on aux nouvelles générations si c’est toujours la victime du harcèlement scolaire qui se retrouve punie, contrainte de devoir se créer un nouveau socle de vie ailleurs, plutôt que de voir sanctionné celui qui a mal agi ?”

Revenons à la question de la MPP (Méthode de la préoccupation partagée). Johanna Dagorn explique dans le Huffington Post que “cette méthode ne règle pas le problème du harcèlement scolaire. « Que l’on puisse avoir des outils, comme la MPP, à un moment donné, pour travailler sur telle et telle question, ça peut être pertinent ponctuellement, expose-t-elle. Mais ça ne fait pas changer un système dans le fond. »”

En effet, si la MPP est une méthode qui peut s’avérer utile pour intervenir dans certaines situations de harcèlement où ce dernier est avéré, elle ne permet pas de prévenir la venue du harcèlement. 

Les écoles et plus généralement les institutions publiques, doivent se focaliser avant tout sur la prévention du harcèlement, soit la détection des phénomènes de harcèlement scolaire, à l’instar de ce que proposait déjà il y a plus de dix ans Françoise Alsaker, professeur émérite en psychologie à l’Université de Berne, ici reprise par Werder (2008) : “la prévention doit s’exercer en accordant aux membres du corps enseignant des moyens en suffisance et la sécurité nécessaire. L’aide externe devrait donc tendre en tout premier lieu à renforcer leur capacité d’action. Il arrive très souvent que la victime de mobbing se taise. Il faut veiller à entretenir une communication ouverte et directe qui ne cherche pas à établir de culpabilité. Des solutions doivent être recherchées au sein de la classe et la responsabilité doit être partagée par tous (p. 7).”

Voyons maintenant ce qu’en pense Nora Fraisse, mère de Marion, 13 ans, harcelée par ses camarades et qui s’est suicidée il y a dix ans. Dans un article pour Causette, elle explique que le suicide de Lucas et tant d’autres – Dinah, Matteo, Evaëlle… – « est un aveu d’échec ». Et ce n’est pas l’annonce du ministre de l’Éducation, Pap Ndiaye, qui compte lancer une campagne de sensibilisation contre l’homophobie à l’école le 17 mai prochain qui la contentera.” En effet, selon elle, « il ne faut pas oublier que le 17 mai, c’est la Journée internationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie donc cette annonce c’est seulement de la communication, rien de plus, déplore Nora Tirane Fraisse. La question c’est plutôt : qu’est-ce qu’on fait jusqu’au 17 mai ? La lutte contre toutes les formes de discrimination, c’est toute l’année. Cela n’apporte rien de dire que c’est triste et qu’on va s’en occuper. Il faut vraiment s’en occuper. Il faut mettre des moyens, il faut mettre de l’humain, il faut des personnes qui accompagnent, il faut des infirmières scolaires, il faut des structures. »

Maintenant nous allons nous pencher sur la situation de harcèlement vécue en Suisse par Leon. L’article du 24 heures nous apprend que, deux mois après que le jeune homme a subi des blessures physiques importantes à la suite d’une agression résultant d’un harcèlement scolaire, la situation n’a toujours pas évolué. Leon explique que «tous les matins, je me demande avec qui je vais encore avoir un problème aujourd’hui, qui va faire une remarque stupide.» 

Malgré une plainte déposée à la police et l’aide demandée plusieurs fois à l’école pour protéger Leon, sa mère déplore le fait que rien ne bouge : “le directeur a déclaré que, dans ce petit établissement, il était inévitable que les enfants se rencontrent et que, l’incident s’étant produit une demi-heure après la fin des cours – donc pendant le temps libre –, l’école n’était légalement pas responsable.” (sic!).

Au vu de ces exemples, le constat malheureux est donc que les questions de harcèlement scolaire ne sont toujours pas traitées à leur juste valeur et sont encore sujettes à la minimisation de la part des responsables d’institutions : “Après l’incident, Leon et son agresseur ont reçu un petit livret pour la maison et se sont entretenus individuellement avec l’assistante sociale de l’école et leur enseignante, mais Leon déclare que le harcèlement a continué et qu’il n’a plus confiance en l’école. Sa mère pense aussi que le directeur ne les prend pas au sérieux et se cache plutôt derrière les formalités.”

Or pour Bettina Dénervaud, directrice du service « Aide en cas de harcèlement » interrogée dans l’article du 24 heures, c’est justement les responsables scolaires qui doivent prendre les mesures adéquates pour prévenir les situations de harcèlement :

“Pour la conseillère, la responsabilité incombe principalement au responsable scolaire, qui décide des formations continues, des ateliers avec les enfants ou les parents, et est en charge de la mise en place d’un guide clair en cas de conflits. Elle estime qu’il faudrait davantage d’engagement dans toute la Suisse.”

Nous constatons par ailleurs que, dans cette situation, ce sont les parents des élèves de l’école qui doivent s’activer pour opérer les actions de prévention à mener : “Maria Pappas veut aussi que l’école s’engage plus pour prévenir le harcèlement. Elle a reçu le soutien d’autres parents. Ensemble, ils sont prêts à cofinancer un atelier sur la violence, si cela s’avérait nécessaire.

Et enfin, c’est encore à l’élève victime de devoir attendre un changement d’école pour sortir du harcèlement dont il est victime : “Leon, quant à lui, va changer de lycée cet été. Il espère pouvoir se concentrer à nouveau sur son objectif: «J’ai encore beaucoup à apprendre. Je veux devenir pilote militaire, comme mon oncle.””

Au vu des événements tragiques qui continuent de se produire en 2023, la prévention est un outil essentiel qui devrait être bien plus mobilisé par les écoles pour agir contre cette impuissance collective. VIA proposera prochainement des articles qui reviendront sur les outils de prévention qui existent et que les équipes pédagogiques dans les écoles pourraient s’approprier.

Bibliographie : 

Werder, M. (2008, septembre). Gewalt in der Schule – Violence à l’école ?, e-ducation, 4. http://edudoc.ch/record/30921/files/be_edu_4-08.pdf

https://www.24heures.ch/avec-qui-je-vais-encore-avoir-un-probleme-aujourdhui-928000343070

https://www.huffingtonpost.fr/life/article/le-suicide-de-lucas-montre-que-l-homophobie-est-toujours-un-probleme-a-l-ecole_212860.html

https://www.huffingtonpost.fr/life/article/suicide-de-lucas-le-protocole-phare-est-il-vraiment-efficace-pour-lutter-contre-le-harcelement-scolaire_212970.html

https://www.lepoint.fr/editos-du-point/laurence-neuer/on-trouve-trop-de-circonstances-attenuantes-au-harceleur-scolaire-02-09-2022-2488197_56.php