Cyberharcèlement : quand la violence ne s’arrête pas à la grille de l’école

On imagine souvent le harcèlement chez les jeunes comme une confrontation en face à face, dans la cour de l’école, au club de sport ou dans tout autre lieu public. Or, avec le développement des nouvelles technologies et leur utilisation par des enfants de plus en plus jeunes, le cyberharcèlement redéfinit les frontières de la violence. Mais qu’est-ce que c’est exactement et comment y faire face ?

Le cyberharcèlement est une forme de harcèlement en ligne qui peut être le prolongement d’un harcèlement en face à face ou exister de manière indépendante. Il peut prendre plusieurs formes, notamment :

·       La diffusion d’informations erronées et de fausses rumeurs ;

·       Des insultes, menaces, harcèlement et chantage par e-mail, SMS, WhatsApp ou réseaux sociaux ;

·       La fabrication de faux profils à des fins malveillantes ;

·       La création de « groupes de haine » visant à humilier une personne ;

·       La diffusion et le partage de photos ou vidéos vexantes, falsifiées, intimes ou à caractère pornographique, sans consentement.

La violence en ligne partage de nombreux points communs avec d’autres formes de violence. On observe par exemple des comportements qui mêlent cyberharcèlement et violence sexuelle, tels que l’envoi ou la réception de messages ou de photos à caractère sexuel ou à connotation sexuellement suggestives (appelé aussi sexting ou  nudes pour les photos) sans consentement, l’incitation à en envoyer ou encore la menace de divulguer des contenus intimes (sextorsion). Au contraire, le revenge porn concerne plutôt des photos ou vidéos qui ont été volontairement envoyées à une personne, mais qui ont été ensuite partagées à des tiers sans l’accord de l’auteur·rice, à des fins de vengeance ou d’humiliation.

Les spécificités du cyberharcèlement

Le cyberharcèlement présente deux caractéristiques majeures :

L’anonymat : les agresseurs peuvent se cacher derrière un pseudonyme, rendant leur identification plus difficile.

L’omniprésence : contrairement au harcèlement physique, il peut avoir lieu à tout moment et en tout lieu, y compris au sein du foyer. Ainsi, des jeunes se retrouvent harcelés même en dehors des temps scolaires ou extrascolaires, soit 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. La maison, normalement perçue comme un refuge, devient à son tour un lieu de stress et de souffrance.

Les jeunes, particulièrement touchés

Le cyberharcèlement touche particulièrement les jeunes (BFEG, 2020). Selon le rapport James (Külling et al., 2022), les jeunes de 12 à 19 ans passent en moyenne 3 heures et 46 minutes par jour sur Internet en semaine et 5 heures et 13 minutes le week-end. Environ 85 % des 15-16 ans consultent quotidiennement les réseaux sociaux et messageries en ligne (EU Kids Online, Šmahel et al., 2020). Parmi eux, 28 % déclaraient avoir été victimes de cyberharcèlement en 2020, avec une prévalence plus élevée chez les filles.

Les conséquences du cyberharcèlement sont similaires à celles du harcèlement traditionnel : anxiété, tristesse, isolement, perte de confiance en soi, refus d’aller à l’école. Elles peuvent être également physiques, comme des troubles du sommeil ou des maux de ventre. « L’impact de la diffusion non consentie d’images à caractère sexuel est énorme. Une fois qu’une image circule sur internet, il est difficile de la supprimer. La victime y est constamment confrontée et est souvent obligée de se retirer complètement du monde numérique. » (État de Vaud, s. d.)

Des actes punissables par la loi

Bien que la loi suisse ne prévoie pas d’article spécifique sur le cyberharcèlement, plusieurs infractions restent punissables, qu’elles soient commises en ligne ou hors ligne : Injures (art. 177 CP), Menaces (art. 180 CP), Calomnie et diffamation (art. 173 CP). Les violences sexuelles en ligne sont également prises en compte, particulièrement dans le cas de sextorsion et, récemment, du revenge porn , qui a été ajouté dans le Code pénal sous le titre : Transmission indue d’un contenu non public à caractère sexuel (art. 197a al.1). L’Association VIA avait d’ailleurs soutenu cette loi auprès de la Commission des affaires juridiques du Conseil des États.

Au niveau juridique, envoyer des photos de soi dénudé lorsqu’on a moins de 15 ans est illégal (Anne Jeger, 2023). De plus la transmission à des mineurs de moins de 16 ans d’images à contenu pornographique représentant des tiers est toujours punissable, qu’il s’agisse de pornographie légale ou illégale (art. 197 al.1 CP).

En Suisse, la responsabilité pénale commence dès l’âge de 10 ans, ce qui signifie qu’un enfant peut être entendu par un juge.

Une réaction rapide et bienveillante

Face au cyberharcèlement, il est essentiel d’agir rapidement et sans jugement. Voici quelques recommandations que l’on soit victime ou témoins :

·       En parler à un adulte de confiance : parent, enseignant, psychologue scolaire, etc. ;

·       Conserver les preuves en faisant des captures d’écran des photos et/ou des messages avant qu’ils ne disparaissent. En effet, il est possible que l’auteur efface le message ou que la plateforme ne conserve pas les messages assez longtemps, comme c’est par exemple le cas des discussions Snapchat ou des « stories » Instagram.  

·       Bloquer l’agresseur sur la plateforme concernée. Signaler l’utilisateur à la plateforme si les publications sont publiques.

Si l’auteur est connu, il est possible de signaler les faits à l’école, aux parents de l’auteur ou aux autorités compétentes, comme dans le cas de harcèlement traditionnel. En cas d’anonymat, il peut être judicieux de se tourner vers la police. Pour ce faire, il faut rassembler des preuves et des faits : dates, lieux, types de message, noms des témoins prêts à témoigner, captures d’écran, photos — accompagné d’un rapport médical et/ou d’un rapport psychologique si l’adolescent consulte. (Anne Jeger, 2023)

Le cyberharcèlement peut être très douloureux pour la victime. En tant que parent, quand un enfant est, par exemple, victime de diffusion de contenu intime, il peut être tentant de réagir par des remarques comme : « Tu n’aurais jamais dû envoyer ce genre de choses. ». Pourtant, si un enfant se confie, c’est une grande preuve de confiance dans cette situation qui peut être vécue comme honteuse, et il est crucial de l’accompagner sans le culpabiliser. Au contraire, il faut reconnaître sa détresse, préserver cette confiance et lui offrir un soutien sans jugement.

Le cyberharcèlement est une réalité qui peut toucher n’importe qui, en prolongeant la violence au-delà des espaces physiques. Son anonymat et son omniprésence le rendent particulièrement difficile à vivre pour les personnes concernées. Il est essentiel d’agir rapidement, particulièrement en cas d’infractions pénales, avec bienveillance, d’offrir un soutien sans jugement et de préserver la confiance des jeunes victimes.

L’auteure de cet article, Maria Amzova, (https://www.linkedin.com/in/maria-amzova-1241131a2/) est psychologue diplômée de l’Université de Lausanne. Elle a travaillé avec des enfants touchés par le harcèlement scolaire au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV et accompagne actuellement des jeunes et leurs familles en cabinet privé à Genève .

Bibliographie

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Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes BFEG. (juin 2020). La violence dans les relations de couple entre jeunes. https://backend.ebg.admin.ch/fileservice/sdweb-docs-prod-ebgch-files/files/2023/08/28/0425a88b-eafb-419c-a142-566ce64ccf81.pdf 

Etat de Vaud. (s.d.). 21_INI_8 — Initiative Carine Carvalho et consorts au nom Au nom du groupe socialiste — Initiative cantonale Pour l’introduction dans le code pénal des dispositions réprimant l’usage abusif de l’image et atteinte à la personnalité (Mettons fin au revenge porn ! ). https://www.vd.ch/gc/seances-du-grand-conseil/point-seance/point/fe7c05a0-d41f-4153-9e7c-c68e8aafddd7/meeting/1004443#:~:text=Actuellement%2C%20le%20revenge%20porn%20pourrait,tiers%20de%20fa%C3%A7on%20inopin%C3%A9e%20(art 

Jeger, A. (2023). Regard d’une psychologue sur les enfants, la vie de famille et les épreuves du couple.

Smahel, D., Machackova, H., Mascheroni, G., Dedkova, L., Staksrud, E., Ólafsson, K., … Hasebrink, U. (2020). EU Kids Online 2020: Survey results from 19 countries. EU Kids Online. Retrieved from http://hdl.handle.net/20.500.12162/5299

Külling, C., Waller, G., Suter, L., Willemse, I., Bernath, J., Skirgaila, P., Streule, P., & Süss, D. (2022). JAMES – Jeunes, activités, médias – enquête Suisse. Zurich: Zürcher Hochschule für Angewandte Wissenschaften. https://www.zhaw.ch/storage/psychologie/upload/forschung/medienpsychologie/james/2018/Raport_JAMES_2022_fr.pdf 

Plan d’Études Romand (2020, 6 novembre). Continuité pédagogique – Moyens d’enseignement et ressources romandes. https://www.plandetudes.ch/web/guest/ZV22qrd8K  

Prévention Suisse de la Criminalité (s.d.). Cyberharcèlement. https://www.skppsc.ch/fr/sujets/internet/cyberharcelement/

Pro Juventute. (s.d.). Cyberharcèlement : agir rapidement est nécessaire https://www.projuventute.ch/fr/parents/medias-et-internet/cyberharcelement