En 2021, en Suisse, il n’existe pas de loi spécifique pour lutter contre le harcèlement scolaire, à l’inverse de certains pays tels que la Suède ou d’autres pays scandinaves, qui ont mis en place de nombreux programmes pour lutter contre cette forme de violence. Cependant, cela ne veut pas dire qu’il n’est pas possible d’agir, ni que la situation ne peut pas évoluer dans les prochaines années. Le 24 septembre 2020, Léonore Porchet, membre du parti Vert socialiste, a déposé un texte spécifique pour protéger les victimes et reconnaître le harcèlement comme violence concrète. Le projet a été liquidé par le Conseil national, mais il est intéressant de voir que c’est une réelle question de société et que des mesures se mettent en place. Dans cet article, nous allons nous intéresser aux différentes solutions qui peuvent être utiles aux victimes de harcèlement, aux parents qui se demandent comment agir, aux témoins de situations de violence, ou encore aux professeurs ou membres de l’école.

Le harcèlement scolaire est un problème géré par chaque canton de manière individuelle. Donc, la même situation ne sera pas réglée pareillement dans le canton de Vaud ou dans le canton de Zurich. La question du harcèlement pose donc une question épineuse, sachant que les programmes de préventions et la formation des enseignants varient et que cette question n’est pas réglée de manière uniforme dans toute la Suisse.
Le harcèlement se définit comme une violence intentionnelle, de manière répétée et qui entraine l’isolement de la victime ainsi qu’un sentiment de domination. Comme le dit si justement Maria Robichaud : « Être isolé ou exclu systématiquement équivaut à recevoir une flèche directe au cœur de l’amour de soi » 1.

En effet, le harcèlement physique ou moral conduit à une dégradation de son estime et de sa valeur en tant qu’être humain. Les victimes se sentent responsables de ce qui leur arrive et en ont honte. Elles n’osent bien souvent pas en parler, ce qui renforce le sentiment de domination que les harceleurs éprouvent.De plus, l’enfance et l’adolescence sont des périodes souvent compliquées. Les comportements changent, il y a un profond besoin de reconnaissance qui s’installe. Entre l’école qui occupe une grande partie de la journée, la pression de la réussite, l’environnement familial, les activités extrascolaires, chacun tente à la fois de se différencier et en même temps de ne pas sortir trop de la masse. Le contexte joue un rôle crucial dans la construction du harcèlement : une victime en position de faiblesse, un ou plusieurs agresseurs, un lieu, un moment T.
Partant de ce constat, deux positions s’opposent : d’un côté, l’idée qu’il y a des prédispositions à être victime ou harceleur, le contexte étant la réunion de ces prédispositions qui conduisent au harcèlement. De l’autre, l’idée que c’est l’environnement qui va construire le contexte approprié. Cette vision rejette moins la responsabilité sur les victimes, il y a la vision du « mauvais endroit au mauvais moment ». Mais peu importe le parti pris, il y a des mesures préventives qui peuvent s’appliquer au sein de l’établissement d’abord, car il s’agit du lieu commun où sont réunies les victimes et les agresseurs.

Comme dit précédemment, les pays tels que la Suède, la Norvège, la Finlande, ont développé des lois visant à lutter contre le harcèlement. Le psychologue Dan Olweus a creusé cette question plus loin, en développant un véritable programme de lutte pour endiguer le harcèlement. Nous allons nous appuyer sur ses idées pour montrer les bienfaits qui pourraient être amenés dans les écoles suisses en suivant un tel modèle 2 :

Tout d’abord, Dan Olweus pose quelques principes clés afin de pouvoir mettre en pratique le repérage et la lutte contre ce fléau :

  • La définition de règles claires, connues par tous les acteurs. Une transgression conduit immédiatement à une sanction
  • Une autorité exercée par un adulte impliqué, faisant preuve de respect et montrant une écoute attentive et chaleureuse aux enfants
  • Une implication collective permettant tout du moins de faire baisser le harcèlement, voire de le résoudre

Concernant la mise en place de ces principes, Dan Olweus insiste d’abord sur l’organisation de l’établissement. Premièrement, les lieus tels que les cours de récréation ou la cantine devraient être bien mieux surveillés. Comme il l’explicite : « Le comportement de l’enseignant qui reste dans la cour pendant les récréations mais se garde d’intervenir suggère une acceptation tacite du phénomène et signale clairement aux agresseurs qu’ils sont libres de poursuivre leurs activités sans craindre d’en subir les conséquences ». L’amélioration de l’ensemble de l’école peut jouer un rôle, prenant en compte l’idée que l’environnement est déterminant.

En plus de cela, l’établissement peut aussi mettre en place de nombreux lieux et moments propices aux dialogues. Ceux-ci se manifestent par :

  • Des débats en présence d’enseignants et formateurs
  • La mise en place d’un fil d’écoute
  • Des réunions entre les membres de l’établissement et les parents, visant spécifiquement àparler du harcèlement
  • Le développement de commissions d’enseignants pour assurer l’aspect social
  • L’encouragement à la création de “cercles de parents” pour favoriser l’entraide

Plus spécifiquement, au sein des classes, les règles de respect devraient être énoncées de façon claire. Des principes tels que « Je ne dois pas agresser les autres », « Je dois venir en aide aux agressés » permettent aux élèves de définir clairement ce qui est interdit et ce qui est valorisé. Le non-respect de ces principes entraine une sanction causant un désagrément à l’enfant. Cependant, la sanction ne doit en aucun cas être physique, car cela irait à l’encontre même du but de non-violence recherché.

Toutes ces mesures de prévention sont utiles à un niveau général. Mais Dan Olweus va plus loin, en proposant une série de mesures préventives à appliquer envers les élèves et dans leur entourage proche :

  • La mise en place de jeux de rôles entre élèves, pour leur faire prendre conscience de la place de l’autre et de la « différence »3
  • Des apprentissages coopératifs (des travaux en groupe sur un projet commun), en faisant attention de ne pas mettre ensemble une victime et un agresseur potentiel
  • Valoriser les activités communes et positives en classe

La gestion de ces activités par un adulte est indispensable, car suivant le constat effectué, il sera bien plus facile de cerner la situation et d’instaurer un dialogue avec les élèves potentiellement victimes ou harceleurs. Il y a également la possibilité de prévenir les parents des élèves concernés, en cas de soupçon d’une situation qui pourrait s’envenimer. De plus, l’adulte peut faire intervenir des élèves “neutres”, et prouver son aide et son soutien aux parents.

Lorsqu’une situation de harcèlement s’est installée, Dan Olweus conseille aux parents de contacter l’établissement scolaire au plus vite, qu’il s’agisse des professeurs ou du directeur. Avec leur enfant, ils peuvent mettre en avant ses talents, qu’ils soient artistiques, sportifs, musicaux… l’encourager à sortir du cadre purement « scolaire », le faire prendre part à d’autres groupes extérieurs pour tenter de construire une nouvelle forme de sociabilité, qui a pu être brisée dans une situation de harcèlement.
Le plus important reste de créer un lien de confiance, que ce soit entre les parents et l’enfant, entre les parents et les professeurs, entre l’élève et les professeurs… ce lien permet de parler, d’échanger, de trouver des solutions, la priorité étant de décharger la charge mentale que le harcèlement fait peser sur la victime.
Il est également possible de s’adresser au personnel médical, qu’il s’agisse de celui de l’établissement (infirmière scolaire, médiateur/trice, doyen, …), ou même au médecin de famille.

Les résultats

Ce programme de prévention a été adopté dans de nombreuses régions, comme par exemple à Bergen, une ville en Norvège. « Dans un échantillon de 2500 élèves entre 11 et 14 ans, présents dans 14 établissements mis sous ce programme, le nombre d’élèves impliqué dans une situation de bullying a baissé de 50 à 70% ; les actes de bullying n’ont pas augmenté ailleurs ; chacun a noté l’amélioration du climat dans les établissements ; quant à la baisse de l’absentéisme, elle a été notable… » 4

Cette réflexion proposée par Dan Olweus nous montre qu’il est possible de mettre en place de véritables mesures de prévention et d’application pour lutter contre le harcèlement scolaire. Évidemment, la construction d’un modèle comme celui-ci demande du temps, de l’implication de la part des établissements, des professeurs, des parents, des élèves… mais s’il y avait une solution pour lutter contre le harcèlement, qui a été testée et approuvée dans d’autres pays, pourquoi pas chez nous ?

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1 ROBICHAUD Maria, L’Enfant souffre-douleur, l’intimidation à l’école, Canada, Editions de l’Homme, 2003.

2 OLWEUS Dan, Violences entre élèves, harcèlements et brutalités, les faits, les solutions, préface de J. Pain, ESF éditeur, coll. « Pédagogies », 1999.

3 https://editions-valormis.com/des-12-ans/23-jeu-distinct-go.html

4 CATHELINE Nicole, Harcèlements à l’école, Paris, Editions Albin Michel, 2008, p. 163.