En 2023 est sortie la première bande dessinée de Léonie Pantillon intitulée « Le poids des flocons ». Le harcèlement vécu par Liane est au cœur de cette histoire et survient lors d’un camp de ski scolaire. Grâce aux images, Léonie parvient à traduire de façon subtile ce qui ne s’explique pas avec des mots : les regards en coin, la mise à l’écart, la place du témoin, l’humiliation. Si beaucoup de parents se souviennent de « Jo » de Derib, reçue à l’école en guise de prévention, « Le poids des flocons » devrait être de ces lectures obligatoires qui chamboulent une scolarité par sa vérité, mais aussi par sa douceur et sa lueur d’espoir. VIA a tenu à rencontrer Léonie Pantillon pour discuter de la création de ce projet, ainsi que de son point de vue sur la problématique du harcèlement à l’école.

 

  • Le poids des flocons est ta première bande dessinée et est parue en 2023. Peux-tu nous en dire un peu plus ? Comment la présenterais-tu ?

Le poids des flocons est une histoire qui parle d’amitié et de harcèlement à la période de l’adolescence, mais aussi des traces qu’il laisse à l’âge adulte. À la base, le poids des flocons était mon projet de Bachelor car j’ai étudié l’Illustration à la haute école d’art et design de Lucerne.

 

  • La bande dessinée se passe sur deux axes temporels : passé et présent où on revient sur les souvenirs de Liane et Mélissa. Pourquoi ce parallèle ?

J’ai tout de suite imaginé deux temporalités, le passé dans les tons bleutés pour évoquer la neige, mais aussi la froideur du harcèlement. Le présent montre des couleurs chaudes, plus positives. J’ai pensé qu’une mise en abîme permettrait plus de recul sur l’histoire du camp de ski, où Liane est victime de harcèlement. Dans le présent, Liane et Mélissa apportent leur regard d’adulte sur les événements du passé et à mon avis, cela permet aussi de rendre l’histoire plus dynamique.

 

  • A ce sujet, l’histoire met en parallèle des enfants et des étudiantes/jeunes adultes. Est-ce aussi en lien avec le public à qui tu adresses cette bande dessinée ?

Dans ma tête, j’ai imaginé que je racontais cette histoire à ma cousine de 11 ans, donc il est vrai qu’à la base, cette bande dessinée est surtout destinée à un jeune public. Mais je pense que l’histoire peut faire écho aussi aux adultes.

 

  • Le personnage principal est celui qui se fait harceler, mais Mélissa est en position de témoin. Que peux-tu dire à son sujet ? La considères-tu comme un personnage secondaire dans l’intrigue ?

C’est vrai que le lecteur est avant tout plongé dans le quotidien de Liane, pour qu’il ressente son point de vue de victime. Mais à la fois, Mélissa n’est pas un personnage secondaire, puisqu’elle permet de comprendre la position de témoin, celle qui aurait pu défendre la victime et qui ne l’a pas fait. Je voulais aussi qu’on puisse ressentir de l’empathie pour ce personnage, qu’on comprenne à quel point il peut être difficile de réagir à cet âge-là, de trouver sa place, de s’imposer.

 

  • Le poids des flocons est un titre très poétique et image bien les événements du camp de ski, mais est compréhensible seulement à la fin de la lecture. Était-ce un choix délibéré ?

L’important pour moi était que le titre amène une certaine métaphore, peu importe si celle est comprise dès le début ou vers la fin. Mon but était aussi de lui apporter une dimension mystérieuse, qu’il ne soit pas forcément concret, mais plutôt évocateur de la mise en scène du harcèlement.

 

  • A la fin, la bande dessinée se conclut par Liane qui, professeure, assiste à la mise à l’écart d’un autre élève. Quelle est la suite potentielle que tu imaginerais ? Pourquoi ce choix de profession et ce message final ?

J’aime bien les fins ouvertes où le lecteur imagine la suite. L’idée est de montrer que le harcèlement est toujours présent et qu’il faut rester attentif aux signes. Dans ce genre de situations, c’est en particulier aux enseignants d’être vigilants et c’est ce que je voulais transmettre comme message.

 

  • La bande dessinée est parue avec l’œuvre Suisse des Lectures pour la Jeunesse. Le projet a-t-il été discuté en amont ? Quel est l’objectif de cette fondation et pourquoi ta bande dessinée est publiée chez eux ?

A l’exposition des travaux de Bachelor, une éditrice a repéré mon projet et on s’est rencontrées. Elle a tout de suite été touchée par l’histoire et sa thématique. J’ai bénéficié de deux ans entre mon Bachelor et la publication pour peaufiner les derniers détails. La maison d’édition était très adéquate puisqu’elle est dédiée à la jeunesse. Dans mon cas, j’ai eu de la chance parce qu’ils ont pris mon projet tel quel !

 

  • Question un peu plus personnelle : est-ce que ton propre vécu a pu t’aider dans la création de cette bande dessinée ?

Oui, je me suis inspirée de mon vécu pour créer un récit de fiction avec des personnages inventés. J’ai subi du harcèlement moral et psychologique durant plusieurs années au secondaire et cela m’a pris du temps à le conscientiser. Heureusement, dans mon cas, ce n’est pas allé trop loin. Mais il n’y a jamais eu d’intervention, de la part des professeurs ou d’autres adultes. Plutôt passive, j’ai beaucoup pris sur moi au lieu d’en parler et d’agir. C’est finalement grâce aux discussions avec mon entourage proche que je m’en suis sortie mais il m’a fallu des années pour reconstruire ma confiance en moi. Faire cette bande dessinée m’a permis de prendre beaucoup de recul par rapport à cette période. En plus que ce travail ait servi en quelque sorte d’exutoire, la perspective que cette histoire puisse prévenir, aider ou tout simplement toucher des jeunes a été une grande motivation.

 

Un grand merci à Léonie d’avoir pris le temps de répondre à notre interview. La bande dessinée est disponible sur le site de l’œuvre suisse des Lectures pour la Jeunesse.

 

 

Interview menée et écrite par Lou Sicovier