• Brève définition du harcèlement scolaire

Le harcèlement scolaire est une violence répétée, intentionnelle et ciblée, exercée par un ou plusieurs élèves sur un autre, souvent dans un contexte de déséquilibre de pouvoir. Il peut prendre différentes formes, comme des agressions verbales, physiques ou numériques, visant à intimider, humilier ou exclure la victime. Même si la parole s’ouvre de plus en plus sur ce sujet difficile, il existe encore beaucoup d’idées préconçues et de mythes sur le harcèlement scolaire. Dans cet article, j’ai choisi d’en présenter cinq des plus courants.

  1. Ça forge le caractère

« Ce qui ne nous tue pas nous rend plus forts. » Une phrase que nous avons tous déjà entendue, et dont j’entends souvent des variantes en consultation en tant que psychologue. Pourtant, cette affirmation est largement un mythe, surtout lorsqu’il s’agit de santé mentale. Le harcèlement et la violence, loin de les renforcer, fragilisent bien plus souvent les individus.

Quand on parle de résilience, on peut se référer à Boris Cyrulnik, qui la décrit comme la capacité à surmonter les traumatismes et à se reconstruire en s’appuyant sur ses ressources personnelles, son entourage, et son environnement (Cyrulnik, 2001). Mais cette capacité reste difficile à développer dans un contexte insécurisant, comme celui du harcèlement. On ne dirait jamais d’un enfant violenté à la maison que cela l’a rendu plus fort ou plus résilient face aux difficultés de la vie. Pourquoi alors penser que des violences subies à l’école auraient cet effet ?

Les manifestations physiques du stress chez un enfant harcelé — comme des maux de ventre, des troubles du sommeil ou de l’appétit, ou encore un refus de retourner à l’école – sont souvent les premiers signaux visibles pour l’entourage. Les conséquences psychologiques, en revanche, sont parfois plus difficiles à repérer, mais elles n’en sont pas moins réelles : anxiété, dépression, voire syndrome de stress post-traumatique. Ces répercussions sont souvent durables et peuvent affecter la personne bien au-delà de l’enfance, influençant ses relations avec les autres et sa manière de surmonter les défis. Le harcèlement scolaire mine des ressources internes à la résilience, comme l’estime de soi, le sentiment de compétence, ou encore la confiance envers autrui (Moore et al., 2017).

C’est précisément pour cette raison qu’il est essentiel de soutenir l’enfant. Ce qui forge sa résilience, ce ne sont jamais les violences qu’il subit, mais bien son estime de soi, sa confiance en ses capacités, et le soutien qu’il reçoit de son entourage. 

  1. Il suffit d’ignorer pour que cela s’arrête

Un mythe répandu veut qu’ignorer le harcèlement suffise à le faire cesser. L’idée repose sur la croyance que les harceleurs cherchent uniquement de l’attention et qu’en ne leur en donnant pas, ils abandonneront. C’est un conseil que des parents bien intentionnés, soucieux d’éviter une escalade ou des représailles, donnent parfois. Certains de jeunes que je rencontre ont aussi peur de parler à cause de la pression émise par le harceleur ou à cause de la peur de passer pour une « balance » auprès des camarades.

Cependant, ignorer le problème peut renvoyer un tout autre message : en ne disant rien, on sous-entend que ces comportements sont tolérés : « Beaucoup de jeunes ont un sentiment d’impunité : pas de sanction, donc je peux recommencer. Je fais rire les autres, donc je peux recommencer. Personne ne m’arrête, donc je peux continuer » (Jeger, 2024, 28 mai).

Agir contre le harcèlement ne signifie pas adopter les mêmes tactiques que le harceleur ni recourir à la violence, mais implique de réagir de manière claire et ferme pour poser des limites.

  1. Les harceleurs sont des enfants « méchants »

On peut avoir tendance à diaboliser les enfants harceleurs, à penser qu’ils sont « méchants » par nature, qu’ils essayent de se rendre intéressants et à instaurer leur pouvoir. 

Cependant, la réalité est souvent autre. Dans beaucoup de cas, les enfants harceleurs sont eux-mêmes victimes de violence ou ont été témoins de comportements violents qu’ils soient physiques ou psychologiques : « Un enfant qui en brime un autre est souvent en souffrance lui aussi » (Jeger, 2024, 27 août).  

Il est donc important d’essayer de comprendre leur comportement sans jugement, en restant à la fois ferme et bienveillant, tout en protégeant les victimes de ces actes. 

  1. La prévention et les interventions ne marchent pas, le harcèlement fait partie de la vie scolaire

On pense parfois que le harcèlement est un phénomène inévitable, intrinsèque à la vie en collectivité scolaire. Pourtant, des années d’efforts en matière de prévention montrent qu’il est possible de le réduire de manière significative.

Le programme finlandais KiVa, par exemple, adopte une approche innovante en impliquant les élèves témoins et en transformant les dynamiques de groupe. Depuis son lancement en 2007, il a prouvé son efficacité à plusieurs reprises dans des contextes variés et dans de nombreux pays. Une étude menée auprès de 5 651 élèves finlandais d’école primaire, âgés en moyenne de 11 ans, révèle qu’après seulement neuf mois d’intervention, les taux de harcèlement diminuent de 20 à 50 % selon les formes de violence concernées (Salmivalli et al., 2011). En Suisse aussi, des écoles de plusieurs cantons, dont Vaud et Genève, testent actuellement KiVa. Les premières observations montrent une amélioration des comportements et une diminution des incidents de harcèlement, confirmant son potentiel dans un contexte local.

Dans le canton de Vaud, la méthode de la préoccupation partagée (MPP) vise à limiter le harcèlement scolaire. Elle repose sur des entretiens individuels avec les élèves concernés et sur une approche qui évite de les blâmer, afin de limiter les risques de stigmatisation ou de représailles.(Harcèlement-intimidation et Violences Entre Élèves | État de Vaud, s. d.) Cependant, cette méthode montre certaines limites. Comme le rappelle Anne Jeger, psychologue à VIA, les harceleurs ont tendance à faire mine de changer temporairement de comportement avant de reprendre leurs actions, tandis que les victimes, par peur de représailles, hésitent à signaler une récidive. La MPP fonctionne mieux dans les petites classes et lorsque le harcèlement est récent, mais nécessite des ajustements pour être pleinement efficace dans les autres cas.

  1. On ne peut pas saisir la justice dans le cadre de harcèlement scolaire, ce sont des histoires d’enfants

On n’y pense pas toujours, mais quand les tentatives de régler le problème au sein de l’école (médiation, psychologue scolaire, direction) ou entre familles échouent, on peut saisir la Justice.  

En effet, si en Suisse, contrairement à d’autres pays comme la France, il n’existe pas d’article spécifique sur le harcèlement scolaire, il est toutefois possible de porter plainte, notamment pour atteinte à l’intégrité corporelle, à l’honneur ou au patrimoine. En Suisse, un mineur est responsable pénalement à partir de 10 ans. Au moment de déposer la plainte, les parents ou tuteurs de l’enfant le représentent.

Le harcèlement scolaire est un phénomène complexe qui ne peut être banalisé ni justifié par des idées reçues. Comprendre ses mécanismes, déconstruire les mythes qui l’entourent et agir de manière préventive sont des étapes essentielles pour protéger les enfants et promouvoir un environnement scolaire sûr et bienveillant. La sensibilisation, le soutien des victimes et l’implication de tous les acteurs de la communauté éducative restent les clés pour lutter efficacement contre ce fléau.

L’auteure de cet article, Maria Amzova est psychologue diplômée de l’Université de Lausanne. Elle a travaillé avec des enfants touchés par le harcèlement scolaire au service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent du CHUV et accompagne actuellement des jeunes et leurs familles en cabinet privé à Genève .


Bibliographie 

Cyrulnik, B. (2001). Manifeste pour la résilience. Spirale, 18(2), 77. 

https://doi.org/10.3917/spi.018.0077

Harcèlement-intimidation et violences entre élèves | État de Vaud. (s. d.).

https://www.vd.ch/formation/sante-a-lecole/prestations/harcelement-intimidation-et-violences-entre-eleves

Jeger, A. (2024, 28 mai). Le harcèlement à l’école : Le prendre au sérieux, prévenir, repérer et agir rapidement (partie 1). Association VIA.

Jeger, A. (2024, 27 août). Harcèlement à l’école : prendre au sérieux la parole des parents (partie 2). Association VIA. 

Moore, S. E., Norman, R. E., Suetani, S., Thomas, H. J., Sly, P. D., & Scott, J. G. (2017). Consequences of bullying victimization in childhood and adolescence : A systematic review and meta-analysis. World Journal Of Psychiatry, 7(1), 60. 

https://doi.org/10.5498/wjp.v7.i1.60

Salmivalli, C., Kärnä, A., & Poskiparta, E. (2011). Counteracting bullying in Finland : The KiVa program and its effects on different forms of being bullied. International Journal Of Behavioral Development, 35(5), 405411. 

https://doi.org/10.1177/0165025411407457